Début septembre, le coordonnateur du P-DDRCS, reçu en audience par le Président de l’Assemblée nationale, a plaidé pour la dotation des ressources financières conséquentes audit programme. Ceci est nécessaire pour ne pas « reconnaitre les mêmes erreurs du passé des autres programmes des anciennes générations notamment les DDR1, DDR2 et DDR3», a-t-il indiqué peu après à la presse. Peut-être politiquement peu corrects, ces propos, du reste d’un ex-rebelle, en disent certainement long. La charrue aurait-elle été mise avant les bœufs ? Décryptage.

Défi de crédibilité du P-DDRCS

Après la mise en place d’un nouvel ordre politique national, le Président Joseph Kabila s’était employé à résoudre l’insécurité dans l’Est du pays. Plusieurs initiatives, dont sont issus les DDR1 et 2, ont été prises, sans résultat probant. Malencontreusement. La circonscription du cadre de recherche de la solution au seul format national en a limité les effets.

Faisant suite au contrôle de la ville de Goma, en novembre 2012, par le Mouvement du 23 mars (M-23) sous la barbe des casques bleus de la Monusco, la signature, le 24 février 2013 à Addis-Abeba, de l’« Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République Démocratique du Congo et la Région » a suscité une nouvelle dynamique dans la recherche de la stabilité – non sans portée régionale - dans l’Est du territoire national.

En vertu de ce « deal de paix » (c’est véritablement le cas), dont les non-dits ne semblent pas encore avoir été assez bien compris par la haute sphère du pays, « des actions concrètes sont requises de la part du gouvernement de la République Démocratique du Congo, avec le soutien des partenaires, des Etats de la région » (Point 4 de l’Accord-cadre). Ceci met on ne peut plus clairement en exergue le caractère transnational de l’insécurité dans la partie orientale du pays. Pour briser l’impasse, il y a lieu de susciter une forte cohérence de différents niveaux d’actions : local, provincial, national, régional et international.

La Résolution 2098 adoptée, le 28 mars 2013, par le Conseil de sécurité, avec effet d’entérinement de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, a recommandé au Gouvernement congolais d’élaborer, avec le concours et le soutien de la « communauté internationale » « un plan unique global de désarmement, démobilisation, réintégration et réinsertion ou rapatriement pour les combattants étrangers et congolais qui ne sont pas soupçonnés de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de violations flagrantes des droits de l’homme » (Point 15d de la 2098). Le coût de ce plan (DDR3), élaboré par la RDC, était de l’ordre de près de cent millions de dollars américains. Une somme « dérisoire » eu égard aux revenus des « ressources minières stratégiques » dont regorge le sous-sol congolais. De quoi peut-être se passer de l’appui financier des partenaires extérieurs. Et pourtant …

Selon ce plan global, il y avait, en 2013 dans l’Est du pays, 54 (cinquante-quatre) groupes armés à désarmer, démobiliser et réinsérer et/ou rapatrier. Aujourd’hui, selon plusieurs sources non moins sérieuses tant côté sécuritaire que celui de chercheurs, le nombre de groupes armés actifs dans l’Est du pays relève de plus du double. Preuve, si besoin était, de l’échec sur terrain du DDR3. Pourquoi ?

C’est la question qui devrait constituer le substrat de la réflexion des parties prenantes (RDC, Région et « Communauté internationale ») dans le but de relever le défi de « crédibilité » de la stratégie nationale du nouveau programme de DDR à pondre. Ce, en se basant sur l’Accord-cadre d’Addis-Abeba qui, selon l’Ordonnance portant création du P-DDRCS, en constitue le soubassement.

Il est stratégiquement utile, pour la RDC, d’évaluer le niveau de mise en œuvre de ses propres engagements nationaux avant de préconiser une évaluation générale de tous les engagements (nationaux, régionaux et internationaux) souscrits aux termes de cet Accord-cadre, comme indiqué dans le Programme du Gouvernement sans indications opératoires. Il en va de l’évaluation de la réforme du secteur de sécurité, celle du niveau d’exercice de l’autorité de l’Etat dans l’Est du pays, celle de la décentralisation, de la promotion de la réconciliation nationale, de la tolérance et de la démocratisation, etc., qui sont nécessaires pour inscrire les effets positifs du PDDRCS dans la longue durée.

Par ailleurs, selon le Conseil de sécurité des Nations Unies, « l’absence d’un programme crédible de désarmement, de démobilisation et de réintégration adapté à la dynamique actuelle des groupes armés empêche les éléments armés de déposer les armes » (Point 19 de la Résolution 2556). Il y a donc à examiner avec assez de lucidité les motivations des centaines (ou milliers ?, la communication gouvernementale n’est pas précise à ce propos) de combattants volontairement rendus depuis la proclamation de l’état de siège. Il pourrait s’agir d’effets positifs de la dissuasion militaire ou relever d’un stratagème des groupes armés bien connu. L’un n’exclut pas l’autre.

Considérant, comme l’avait déclaré, le 24 avril 2021, le Porte-parole du Gouvernement, que l’état de siège, « qui a pour but de dissuader les groupes armés » et, partant, de « contraindre ceux (les combattants) qui sont à la base de l’insécurité de se rendre ou de se retirer », le Gouvernement aurait dû se doter préalablement d’un plan global de restauration et de consolidation de la paix dans l’Est du pays, dont le DDR serait une composante. Ceci n’existe pas – encore -. De quoi questionner l’opérationnalité de la vision de paix portée par le Gouvernement.

La communication publique du coordonnateur du PDDRCS sur sa requête d’implication de l’autorité budgétaire pour la dotation des ressources financières au bénéfice de sa structure, placée sous l’autorité du Chef de l’Etat, ne participe pas de la meilleure affirmation de l’appropriation nationale du P-DDRCS qui, du reste, est sans stratégie à ce jour. En effet, en vertu de l’ordonnance l’ayant créé, « le P-DDRCS est chargé notamment de (1) concevoir une stratégie nationale de mise en œuvre du P-DDRCS qui est offert aux groupes armés répondant aux critères arrêtés par le Gouvernement » (Article 3). C’est sur la base de la stratégie que devrait être financé le volet opérationnel du P-DDRCS, au-delà de considérations administratives requérant des fonds de fonctionnement déjà alloués.

Il y a lieu de savoir ce sur quoi fonder la « crédibilité » de la stratégie nationale du P-DDRCS. Dans le but de mobiliser effectivement la communauté nationale (dans sa pluralité) et – ce n’est pas superflu – de bénéficier du soutien tant financier que diplomatique des partenaires extérieurs. Ce, à un mois de l’ouverture des travaux de rédaction de la prochaine résolution du Conseil de sécurité sur la situation en RDC dont l’adoption est prévue en décembre prochain.

Inclusivité et consensus

La stratégie nationale du P-DDRCS devrait découler d’une élaboration consensuelle des parties prenantes. Ceci requiert de larges consultations avec notamment les institutions publiques, les services gouvernementaux compétents, les organismes privés, les organisations de la société civile, les leaders d’opinion et les responsables des communautés locales, les groupes des femmes et des jeunes aux niveaux provincial et local, les représentants des groupes vulnérables, etc. La tenue d’ateliers sur le P-DDRCS est essentielle pour s’assurer que les différents défis soient pris en compte à tous les niveaux, surtout ceux liés aux perceptions des communautés locales. En clair, l’approche d’élaboration de la stratégie nationale du P-DDRCS devrait relever de l’inclusivité.

Car l’appropriation de ce programme par les parties prenantes, surtout au niveau local, est une condition indispensable de son succès. Ceci permettrait au P-DDRCS de produire des résultats escomptés, y compris dans les coins du pays difficilement accessibles où l’absence de fait de l’Etat profite aux architectes de l’insécurité. L’idéal aurait été d’élaborer la stratégie nationale du nouveau programme de DDR avant de mettre en place la structure opérationnelle de sa mise en œuvre. La stratégie élaborée en amont aurait été susceptible de bénéficier d’une adhésion plus large de parties prenantes nationales. Qu’à cela ne tienne.

Au fond, ces consultations n’auront tout leur sens que si la RDC fait montre de perspicacité et d’imagination d’une offre stratégique autour du « deal de paix » qu’est l’Accord-cadre d’Addis-Abeba que le Conseil de sécurité considère, depuis 2013, comme « un mécanisme essentiel pour la restauration et la consolidation de la stabilité en RDC et dans la Région ». Le gain stratégique du P-DDRCS découlerait de l’aptitude de l’Etat congolais à recentrer effectivement la recherche de la paix autour de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Ce en exploitant les opportunités qu’il présente, en répondant aux défis qu’il pose, et, particulièrement, en suscitant une « convergence géopolitique » (similitudes des perceptions de vues pour une conjugaison d’actions des parties prenantes relevant, dans le cas d’espèce, du local, du provincial, du national, du régional et de l’international). La tâche est certes ardue mais ne relève nullement de la quadrature du cercle.

A défaut de relever ce défi, le spectre de l’échec continuerait de planer sur le P-DDRCS. Le Gouvernement, quant à lui, risquerait d’éprouver de la peine de l’éloigner. Au grand dam de populations civiles.

JJ Mwenu/Tribune/MMC


(GMM/PKF)