On parlait du pont déjà au temps du vieux dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko, renversé à Kinshasa il y a 22 ans jour pour jour ce vendredi. Les travaux doivent commencer dans quinze mois pour un montant de 550 millions de dollars, a annoncé dimanche dernier le président de la Banque africaine de développement (BAD) lors d'une conférence de presse au Congo-Brazzaville. « Ce projet est comme celui (du pont) entre le Sénégal et la Gambie, inauguré en janvier dernier. Nous allons le réaliser », a insisté le président de la BAD, Akinwumi Adesina. Les travaux seront cofinancés par la BAD à hauteur de 210 millions de dollars et par Africa, 50, une plate-forme regroupant des Etats africains pour financer les infrastructures de développement, a-t-il précisé. Des détails ont fait surface dans la presse congolaise: la passerelle devrait mesurer 1.575 mètres, avec un péage, une voie ferrée, une route et un trottoir, pour relier Kinshasa (au moins dix millions d'habitants) et Brazzaville (moins de deux millions).

« Nous allons droit vers la réalisation de ce projet pont route-rail. Il n'y a plus d'obstacles. La volonté politique est clairement affichée », glisse à l'AFP une source au ministère des Travaux publics à Brazzaville. La possible échéance d'août 2020 réveille l'ambiguïté des liens entre les deux pays homonymes qui parlent les mêmes langues (français, lingala), dansent sur les même rumbas, mais se regardent avec méfiance. Avec 80 millions d'habitants, un revenu moyen annuel par habitant de 450 dollars, trois à quatre fois inférieur à celui du Congo-Brazzaville, et un manque criant d'infrastructures, la RDC redoute la concurrence avec son voisin, qui compte cinq millions d'habitants à peine. Un responsable de la province du Kongo-central, à l'ouest de Kinshasa, Venant Wabelo, a déclaré à la radio onusienne Okapi qu'il refusait le pont car l'ouvrage menace selon lui le rôle stratégique de sa province en tant qu'unique débouché de la RDC vers l'océan Atlantique. La construction du pont mettrait en effet en concurrence l'axe Kinshasa-Matadi avec l'axe Brazzaville-

Pointe-Noire pour l'acheminement des importations et des exportations. Les ports de Boma et de Matadi en RDC se retrouveraient en concurrence avec le port en eau profonde de Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, géré par le Français Bolloré depuis 2008. Et le projet de construire un port en eau profonde à Banana, à l'embouchure du puissant fleuve Congo, n'aurait plus guère de sens. « La construction d'un pont reliant Brazzaville à Kinshasa aiderait à accroître le trafic passant par Pointe-Noire et à améliorer la viabilité globale de cette voie », relevait dès 2010 un rapport de la Banque mondiale. « Il n'y a pas urgence à construire le pont Kinshasa-Brazzaville. Notre priorité doit être de construire des routes, autoroutes, chemins de fer, aéroports et ponts pour relier les 26 provinces de la RDC afin de favoriser l'intégration nationale et créer un marché intérieur », affirme l'économiste kinois Noël Tshiani, travaillant à la Banque mondiale, consulté par l'AFP.

De l'autre côté du fleuve, un autre économiste, Léon Mayeko, enseignant-chercheur à l'Université publique de Brazzaville, se montre plus optimiste : « Le pont route-rail est un projet vraiment rentable. Si on peut y ériger un péage, le revenu serait très important pour les deux villes. Le projet va faciliter la libre circulation des personnes et des biens ».

Le long de la corniche piétonne avec vue sur les immeubles de Kinshasa, le projet réveille les préjugés envers les «  Zaïrois » qui ont émigré par milliers vers Brazzaville, pour des raisons politiques ou économiques. En 2014, les autorités de Brazzaville avaient expulsé des dizaines de milliers de ressortissants de la RDC dans une chasse aux délinquants et aux clandestins. « Nos voisins de l'autre côté pourraient venir nous envahir. Ce qui aurait pour conséquence l'augmentation du taux de criminalité, de chômage et de pauvreté ››, redoute Régis Koumba Moutsinga, étudiant en droit des affaires, interrogé par un correspondant de l'AFP. En attendant le pont, des canots à l'aspect souvent vétustes restent la seule voie de passage entre les deux capitales sur le fleuve. La traversée ne prend que 15 minutes. Mais il faut compter deux à trois heures d'attente et de tracasseries administratives au départ et à l'arrivée, dans un désordre chaque jour renouvelé.

La Libre Belgique/Le Potentiel


(TN/Milor/GW/Yes)