Au cours d’un dîner informel qui n’a pas été prévu à l’agenda du sommet de la capitale kenyane sur l’Environnement, Uhuru Kenyatta et Emmanuel Macron ont clairement demandé à Félix Tshisekedi de prendre ses distances vis-à-vis de son prédécesseur Joseph Kabila. C’est ce qu’ont indiqué nos consœurs RFI et La libre Belgique, dans leurs éditions d’hier jeudi.

A en croire les deux médias qui citent des diverses sources, les deux Chefs d’Etat ont fait passer le même message à leur hôte congolais. « Il faut vous émanciper de la tutelle de Joseph Kabila ». Cependant, Félix Tshisekedi qui a entendu les propos de ses deux homologues, ne leur aurait donné aucune suite immédiate. « Félix Tshisekedi n’a pris aucun engagement lors de cette rencontre. Sa situation est très compliquée », souligne la Libre Belgique qui rapporte l’une de ses sources. Et d’ajouter : « Mais il doit envoyer des gages et démontrer que le pays est sur la route d’une vraie alternance et qu’il n’est pas qu’une marionnette entre les mains du clan Kabila ».

Par ailleurs, les mêmes sources renseignent qu’à Nairobi, Kenyatta et Macron ont partagé une même lecture de la situation politique en RD Congo. A savoir, l’environnement post-électoral. « Les résultats de la présidentielle du 30 décembre dernier sont contestés et contestables. Mais il faut avancer. Car, il n’y aura pas de retour aux urnes. Pas question pour l’instant d’appeler à de nouvelles élections comme le réclame Martin Fayulu ».

Cependant, Emmanuel Macron qui a rassuré ses interlocuteurs sur la position de l’Elysée à cette question, a dit attendre de Félix Tshisekedi, l’ouverture d’un dialogue constructif avec l’Onu sur l’avenir de la MONUSCO dont le mandat est supposé être renouvelé au cours de ce mois de mars. Pour le président français, il s’agit-là d’une préoccupation majeure pour son pays, compte tenu de la situation sécuritaire qui prévaut dans l’Est de la RD Congo.

Au même moment qu’ils demandent à Félix Tshisekedi de prendre ses distances vis-à-vis de Joseph Kabila, Uhuru Kenyatta et Emmanuel Macron conseillent à leur homologue congolais de donner des gages de son pouvoir. Parmi ces garanties, les deux présidents soutiennent la nécessité de poser des gestes vis-à-vis du camp de Lamuka, la plate-forme qui a soutenu la candidature de Martin Fayulu. Sur ce point précis, Emmanuel Macron aurait également mis sur table, l’éventualité d’un Gouvernement d’ouverture qui inclurait des membres de l’Opposition, conduite pour l’instant par Martin Fayulu. Vis-à-vis de l’Union européenne, c’est notamment la réouverture de la Maison Schengen.

Un discours qui dénote du mépris

A Kinshasa, l’heure est donc au décryptage du discours du Président français Emmanuel Macron, devant Félix Tshisekedi. Le tout part d’une question simple. Celle de savoir s’il appartient à un Chef de l’Etat de dire à un autre, comment gérer son pays. Parce qu’on y est. Félix Tshisekedi devrait dire à son homologue français ce qu’il devrait faire pour désintéresser les "Gilets jaunes". Pour plus d’un analyste, le discours de Macron dénote un certain mépris. Sinon, on ne peut pas comprendre qu’un Chef d’Etat demande à un autre de s’émanciper de son prédécesseur.

De l’avis de ces mêmes analystes, si Félix Tshisekedi irait dans le sens "suggéré" par Uhuru Kenyatta et Emmanuel Macron, alors il aura accrédité par l'absurde tout ce qui se raconte présentement dans certains milieux, sur les ressorts de son pouvoir. Les partenaires extérieurs de la RD Congo seraient-ils conséquents de leur manière d’apprécier les élections du 30 décembre dernier ? Comment peut-on à la fois, saluer la passation civilisée du pouvoir, entre Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi, et bouder la majorité parlementaire, dès lors que celle-ci est du même scrutin.

Tel qu’ils le disent, Uhuru Kenyatta, parrain du CACH et Emmanuel Macron donnent l’impression d’ignorer les réalités de la politique intérieure actuelle de la RD Congo. Quand ils demandent à Félix Tshisekedi de s’émanciper ou de prendre son indépendance vis-à-vis de Joseph Kabila, le problème ne se pose pas en ces termes-là. Ici, nous sommes devant l’impératif du respect des textes constitutionnels. L’évidence est qu’après les élections du 30 décembre 2018, les Congolais se retrouvent devant une situation politique avec deux majorités : présidentielle et parlementaire. La première est incarnée par Félix Tshisekedi, alors que l’ancien Chef de l’Etat Joseph Kabila représente la majorité parlementaire, avec plus de 300 députés nationaux élus, sur un total de 500 sièges.

Face à cette réalité, on ne comprendrait pas comment un Chef d’Etat qui n’a pas la majorité nécessaire à l’Assemblée nationale, pourrait prétendre bien travailler, sans intégrer cette donne.

A qui profiterait une crise institutionnelle en rd Congo ?

Pour une première fois de son histoire, la RD Congo a réussi à organiser la passation de pouvoir, sans effusion de sang. On a vu un président sortant élu, passer le flambeau à son successeur élu. Curieusement, les partenaires extérieurs du pays affichent des postures qui donnent l’impression qu’ils s’en plaignent. Il s’agit donc ici, de ceux-là même qui avaient prophétisé l’hécatombe en RD Congo, après les élections du 30 décembre dernier.

Aujourd’hui que le pays a déjoué les pronostics de ces prophètes de malheurs, voilà que les mêmes préconisent un autre schéma de déstabilisation du pays. La recette Kenyatta-Macron proposée à Félix Tshisekedi est donc loin, et même très loin d’être du goût de plus d’un Congolais averti. Aux yeux des observateurs, la catastrophe prédite après les élections pourrait se concrétiser par ce projet. La question est de savoir à qui profiterait une nouvelle crise institutionnelle en RD Congo. En tout cas, pas à son peuple qui attend beaucoup de l’alternance politique, désormais une réalité depuis le 24 janvier dernier.

A plus d’un égard, ça sent de l’ingérence à mille lieues. Que les partenaires de la RD Congo plaident pour le retour de la coopération, c’est leur droit de protéger leurs intérêts. Mais quant à dire qu’ils doivent donner une ligne de conduite à ceux qui ont la plus haute charge au sommet de l’Etat congolais, c’est là que des âmes bien nées ne décolèrent pas. Si la notion de la non-ingérence est garantie dans la charte des Nations Unies, alors on devrait se garder d’en faire une lecture à géométrie variable.

Grevisse Kabrel/Forum des As


(TN/TH/GW/Yes)